une lumière dans la nuit (dundun + glouton *sort*)

Ils devaient être tous morts. Du moins était-ce la conclusion à laquelle venait d'arriver Edna, assise sur une chaise de bureau, la fenêtre ouverte sur l'air nocturne. Dans sa main droite, une lampe torche, braquée sur le dehors. Ça faisait dix minutes qu'elle jouait avec, à faire du morse. « Y A-T-I-L Q-U-E-L-Q-U-U-N ? », qu'elle demandait, avec espoir au début. Et puis avec lassitude, à la fin. Résultat, de guerre lasse, voilà l'ancienne agent de la CIA qui s'interrompt un moment. Elle avait essayé à peu près tout depuis que la nuit était tombée. Les SOS, les "Hi", les "Hello", perdus dans l'immensité nocturne. West Point était mort, ou bien elle parlait à des imbéciles incapables de coder en morse. Cette éventualité germa dans son esprit un peu tardivement. En même temps, elle ne pouvait pas, bêtement, utiliser un porte-voix et appeler les survivants du coin. Ça aurait attiré tous les zombies dans le coin d'où le son provenait. Du suicide, voilà ce que c'était.

Donc elle allait continuer le morse lumineux. C'était vraiment la seule solution pour elle. Entre ça et descendre du deuxième étage de la baraque pour aller se balader dans la rue, il n'y avait pas photo. S'accoudant à la fenêtre, Edna soupira, puis finit par signer, toujours en morse : « Qui veut voir mon cul ? » Pour le répéter, une fois, deux fois, trois fois, lentement.

Et pour voir une lumière s'allumer, à 25° à l'Est de là où elle se trouvait.
Finalement, il y avait des gens qui vivaient encore dans ce trou paumé.

Trois semaines. Trois putains de semaines qu'il était là à attendre que quelque chose se passe. Étrangement il commençait à trouver le temps long devant cette fenêtre à regarder les oiseaux et les zombies passer devant lui. Il ne pouvait s'empêcher de se dire qu'il devait commencer sérieusement à ressembler à tante Ursule, la vieille sénile de la famille qui observait son aquarium comme si c'était la plus belle chose de l'univers. Soudainement une lueur attirait son regard, il plissa les yeux pendant quelques instants marmonnant deux trois mots dans sa barbe avant de réagir, tombant presque à la renverse. Il y avait quelqu'un de l'autre côté ! Et quelqu'un qui parlait le morse, chose qu'il maitrisait désormais après son séjour dans l'armée. Interpellant l'animal se trouvant près de lui "Tu veux pas m'aider toi hein ?" avait il fait en regardant Glouton qui tourna légèrement la tête comme si il ne comprenait pas "A part la bouffe y'a rien qui t'intéresse... L-A-M-P-E T-O-R-C-H-E bon sang !" et l'animal l'avait regardé toujours et encore sans bouger. Alors c'est en ruminant qu'il c'était relevé "Toujours tout faire dans c'te baraque..." Retournant la majorité des placards de la maison pour trouver l'objet de sa convoitise, il eut un sourire satisfait lorsqu'il mit enfin la main dessus. Reprenant place sur son perchoir, il commençait à appuyer sur le bouton : "Je ne serais pas contre un peu de chaleur humaine" avait il répliqué en morse dans un sourire tout à fait amusé. Enfin il espérait que c'était une femme de l'autre côté de la rue. La perspective de se retrouver avec un catcheur poilu, vicieux et en colère ne le réjouissait guère...

Elle cilla, perplexe. Donc il y avait quelqu'un. Quelqu'un qui avait bien pris son temps pour lui répondre, ou pour déchiffrer son message. Pour autant, la réponse était fluide. Donc c'était quelqu'un qui était à l'aise en Morse. Et ça pouvait être soit un sale gosse, soit quelqu'un de l'armée. Assez logique au final, les militaires avaient tout intérêt à savoir utiliser le Morse, c'était quand même le langage codé de base. Bref. Elle ricana doucement à la proposition de l'autre, qu'elle devinait mâle sans grande hésitation. « Pas contre un peu de chaleur, hein ? Pitié, que ça ne soit pas un gros dégueulasse. », murmura-t-elle pour elle-même tout en reprenant sa lampe torche pour répondre à l'inconnu. « Vous en avez mis du temps pour répondre » et d'ajouter après une brève hésitation « Vous avez encore des vivres ? »

Non parce que ça servait à rien qu'elle bouge s'il voulait simplement reluquer son cul. Mais s'il avait de quoi manger… Ça pourrait être une idée. Après tout, elle n'avait rien becté depuis deux jours, se contentant de boire de l'eau. Ah, si, une vieille barre de céréales, retrouvée sous un lit d'enfant dans la baraque. Mais rien d'autre. Il commençait à faire faim. « Moi c'est Edna. Et vous, vous vous appelez comment ? » Autant sympathiser avec l'inconnu. Mine de rien, ça lui faisait du bien, à Edna, de savoir qu'il y avait encore de la vie dans ce coin paumé.

Visiblement celui ou celle qui se trouvait dans la maison en face de lui se débrouillait vraiment bien avec le morse puiqu'il (ou elle) était capable de lui répondre. Glouton toujours couché sur le côté le regardait avec un air parfaitement impassible tandis qu'il se mordait la langue pour répondre de nouveau "Ma lampe n'était pas à portée de main" Il préférait vivre tout le temps dans l'obscurité la nuit au cas où l'un des zombies le remarquerait et attirerait tout ses potes chez lui pour venir prendre l'apéro. Sauf que lui ne comptait pas terminer de cette façon. La personne lui demandait ensuite si il possédait encore quelques vivres. Il hésitait pendant quelques secondes avant de répondre... L'idée de partager des vivres qui pouvait lui permettre de tenir seul encore près de deux semaines le dérangeait un peu... Mais après tout... Il grimaçait avant de répondre . "Encore un peu oui et vous ?" Après tout si il ou elle était seul(e) il pouvait toujours bien partager un peu. Il se tourna vers Glouton "Sauf si tu bouffes tout comme la dernière fois. Gros lard." Si il n'avait jamais particulièrement apprécié les animaux de compagnie, il devait admettre que le chien était une bonne source de distraction.

Edna... Bon. Finalement il ne risquait pas de tomber sur un catcheur poilu, vicieux et en colère. Sur une vieille femme ? Probablement pas. Une femme pleine de ressources ? Surement. Elle maîtrisait le morse donc elle devait avoir eu la formation adéquat "Duncan" Il patientait quelques instants avant de dire "Dites, vous auriez pas des vêtements d'homme par chez vous ?" Parce qu'il commençait sérieusement à sentir aussi bon que Glouton et dans cette maison il y avait des vêtements de femmes et d'enfants. Le genre de choses qui ne lui conviendrait pas vraiment.

 

L'inconnu avait des vivres. La simple connaissance de ce fait rassurait Edna et lui donnait envie de foutre le camp de la ferme où elle avait élu refuge depuis quelques jours. Mais elle n'en fit rien. Elle était en sécurité, pour le moment, ici. Pour le moment. Elle renifla et jeta un coup d'œil songeur au tas à ses pieds qu'elle distingue difficilement. Il faudrait qu'elle vérifie ses munitions, si elle décide de rejoindre l'étranger dans la ferme où il est. Et il faudrait surtout qu'elle repère la ferme où il était planqué, lui. « J'ai que de l'eau potable. Plusieurs bidons. C'est déjà ça. » La misère du monde, étalée dans les cieux par une lampe torche. Un instant, elle espérait franchement que personne ne les épiait, parce que ça l'aurait franchement fait chier qu'on les espionne et qu'on vienne lui faire les poches le lendemain matin.
Il lui raconta qu'il s'appelait Duncan. C'était la première information personnelle qu'il lui donnait. Duncan… Elle en avait connu un quand elle était plus jeune, en premier cycle. Un blondinet aux oreilles décollées qui avait été le souffre-douleur de leur promotion pendant de longues années. Il était certainement devenu un zombie, lui aussi. Cet imbécile. Le Duncan de West Point continuait de signer en morse optique, une question qui laissa Edna perplexe quelques instants. « Il est quand même pas à poil… » Elle avait fouillé dans la baraque en y arrivant, histoire d'être sûre qu'il n'y avait pas de zombie planqué dans les placards. « Y en a. Vous voulez que je vous décrive tout et vous choisissez vos préférés ? » Ricanement qui surgissait d'entre les lèvres de la rousse tandis qu'elle enchainait : « Je crois que c'était une colocation, là où je suis. Plein de chambres, pas de fringues d'enfants. » Et puis, pour ne pas rompre le contact humain dont elle avait désespérément besoin cette nuit, elle continua : « Vous êtes d'ici ? »

Il sentit un long filet humide sur sa main alors qu'il tentait de se concentrer sur sa réponse. Duncan tournait un regard courroucé vers celui qui osait le déranger et qui n'était autre que ce stupide glouton qui venait de poser ses babines dégoulinantes sur sa main. Il donnait un coup sur son museau « Raaaah mais c'est pas possible ! Va baver ailleurs ! » fit il en agitant sa lampe encore allumée. Ce que ce clébard pouvait être pénible parfois... Mais au fond de lui il était bien heureux d'avoir une autre compagnie que lui même. Après avoir râlé une énième fois contre Glouton il se concentrait à nouveau sur ce qu'il allait pouvoir répondre à Edna qui ne semblait guère avoir de quoi subsister dans la maison de la rue d'à côté. « Le plus important » fit il avant de déposer la lampe sur le bord de la fenêtre.
Drôle de moyen de conversation se disait l'ancien soldat en attendant une réaction de la part de son interlocutrice. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas utilisé cette méthode pour communiquer et surtout faire des phrases aussi élaborées. La réponse d'Edna eut le don de lui tirer un sourire en coin « Tant que c'est la bonne taille ça me convient parfaitement. » Oui. Il s'en foutait. Juste se débarrasser de ses vêtements pleins de sueurs et couvert de sang et d'autres substances dont il ne se plairait certainement pas à décrire l'aspect. « Oui. Je vivais dans une maison du centre ville et vous ? » Quitte à se parler un peu autant faire connaissance. Et ça le changeait un peu de glouton et de sa bave.

Songeuse, elle déchiffrait le morse de l'inconnu -Duncan- et se faisait un mémo mental : d'aller voir un peu les fringues qu'il y avait dans les étagères éventrées. Pas pour ranger ou plier tout le bordel, non, mais juste pour voir un peu s'il y avait quelque chose qui pourrait lui être utile s'il venait. Normalement, on pouvait survivre tant qu'on avait de l'eau potable, et c'était son atout à elle. Il était d'ici, lui. Un pauvre type piégé dans la ville qu'il avait toujours connu, ville qu'il avait vu se transformer en chaos total. Elle, au moins, elle était partie de Chicago quand ça avait commencé à barder. Parce que ça sert à rien de rester dans un endroit quand tout s'effondre autour de vous -littéralement et figurativement parlant. « Je vivais à Chicago. Pensais que le sud serait plus calme. Me suis trompée. »

C'était pas mal, la discussion silencieuse, lumineuse. L'intérêt de la nuit, clairement. Remarque, de jour, ça pourrait aussi marcher -moins bien- avec un miroir. Ou en face, directement. Mais il y a quelque chose qui fait qu'on se méfie, quand même un peu, des gens qu'on ne voit pas. N'importe quel imbécile connaissant le morse pourrait avoir été mordu et vouloir un peu de chaleur humaine avant de passer de l'autre côté. Elle lui proposerait bien de traverser la rue et de la rejoindre, mais il y a quelque chose qui la retient. La méfiance. Et pourtant, malgré ce que lui dictent les réflexes de sûreté, elle signe bientôt avec la lampe : « Vais plus avoir beaucoup de pile. Vous voulez venir ? »

Sa main cherche la poignée de sa batte de baseball dont il se saisit. Une voix dans sa tête lui dit que la fameuse Edna pourrait simplement le rameuter pour le zigouiller et s’emparer de ses vivres. Mais il soupire à cette pensée, chassant cette idée de son esprit. Après tout, hormis la vie, qu’avait-il donc à perdre ? « Je viens. » Deux mots simples et il est déjà debout, prenant Glouton avec lui parce-qu’il n’allait quand même pas le laisser là. Tout seul. Il ramasse un sac à dos qu’il remplit avec quelques vivres, vérifie que son arme est accrochée à son flanc et descend les marches, lampe torche et batte de baseball en main. On ne sait jamais ce qui peut se planquer dans l’ombre – il l’avait appris à ses dépens. D’un regard, il s’assure que le séjour est libre avant d’éteindre sa lampe et d’ouvrir doucement la porte d’entrée. Le grincement qu’elle émet lui tire une grimace. Il craint que tous ses voisins zombies ne soient attirés par le vacarme de quelques gonds mal huilés, mais il ne remarque aucun mouvement suspect.

Duncan referme soigneusement la porte avant de marcher calmement dans la rue, se dirigeant vers la maison avec une pointe de nervosité. Mais quelle connerie. Il se demande si c'est finalement une bonne idée. La femme pourrait aussi bien être un vieux pervers collectionnant les têtes d'imprudents comme lui. Mais pourtant. Il est là et il pousse la porte, son fidèle clébard trottinant derrière lui. Alors, d'une voix mal assurée il lâche un ridicule et prévisible « Youhou. Y'a quelqu'un ? » Bien sur qu'il y quelqu'un débilos. Il secoue légèrement la tête, sa main droite serrant imperceptiblement plus fort la batte de bois, comme si cela pouvait lui procurer quelques réconforts. 

Il vient.

C'est curieux cette sensation qu'elle a d'un coup. Elle se fait l'effet d'une adolescente la veille de son premier rencard. La chair de poule de l'inconnu, le suspense qui précède une rencontre avec le sans-visage. Elle vérifie ses munitions, c'est con mais vaut mieux ça que de se faire pourrir sans l'avoir prévu. Ça se trouve, elle est débile, elle est peut-être en train de tendre les bras à un piège insoupçonné. Suffirait que le mec lui ait menti et qu'il arrive avec trois autres potes pour qu'elle finisse comme une idiote.
L'appréhension prend le pas sur les micro-papillons qui lui dévorent les entrailles et elle reste au deuxième étage, à scruter l'obscurité de l'extérieur, essayant de voir une ou plusieurs silhouettes.

Une voix s'élève, masculine, pleine d'interrogations muettes aussi. Y a-t-il quelqu'un ? Évidemment. Elle arrive sur le palier des escaliers larges, et se penche au dessus de la balustrade, dans la pénombre de la baraque. Elle croit distinguer la silhouette de l'homme (un bout d'épaule cela dit, peut-être), et un truc qui gigote autour de lui -une bête, probablement, trop petit pour être autre chose. « Duncan ? », qu'elle demande, le fusil en main. Ça serait con de tirer, ça ferait du bruit, ça ameuterait les saloperies mi-mortes. Mais bon, ça la rassure un peu, son arme. Il n'est pas obligé de savoir qu'elle préférerait économiser ses munitions. « Vous êtes tout seul, hein ? Pas de coup de pute, pas vrai ? » Elle essaie de se faire passer pour quelqu'un en contrôle, mais elle n'est pas totalement en confiance, c'est con. Et c'est elle qui lui a dit de se ramener. Idiote.